Feuilletons nos souvenirs…

J’irai là où les poussières me mènent

Un jour pluvieux d’automne. Vous aimez l’automne ? Nous sortons de la voiture avec nos parapluies puis apercevons des hangars, un parking et sous une tente : une file d’attente.
Nous nous trouvons au milieu de feuilles humides et le bruit des cordes, scrutant des visages inconnus, presque souriants malgré le temps gris, nous nous interrogeons sur le lieu.
Dehors, dedans ? Nous ne savons pas.
Nous entrons au restaurant, le temps d’un thé à la verveine, une boisson chaude pour réchauffer nos mains. Nous sourions à ces visages qui au cours de nos conversations, deviennent de plus en plus familiers.
Dedans. Le show se fera à l’intérieur et non dehors comme prévu initialement.
Nous longeons le parking et nous nous dirigeons dans un des hangars, au F.
Des palettes, des structures en bois et en métal décoraient le lieu en une armature fine mais robuste. Nous nous arrêtons devant une ligne, face à nous, un portrait. Le visage d’une femme, âgée, lunettes, cheveux bruns et un sourire éclairant ses yeux de milles feux. A droite, accroupi, se tient le danseur, Yann. En une première révérence, le spectacle commence.
Nous sommes portés dans la danse comme Yann porte cet être cher. Une fois, deux fois… Des va et vient… Comme des feuilles portées par le vent, le portrait est arraché et bercé de part et d’autre. Pour ensuite atterrir à un endroit, à droite. Canada, Afrique, des voyages, des souvenirs, des moments de vie happés, repensés, répétés comme des éléments fragiles que l’on a peur de casser, d’oublier… Nos yeux suivent Yann, avec la même ferveur avec laquelle il se balance sur une traverse puis des palées de stabilité, comme pour arrêter le temps. Où en étions nous ? Nous parlions de voyage, d’anniversaires, de moments partagés, vécus et essayons nous-mêmes de les retenir, restons happés, de peur qu’ils s’enfuient, trop vite. Yann se mêle à la foule, nous interpellant sur comment, comment et où avons-nous pu mettre tel objet ?
Mais qu’est-ce que cet objet ? Comment était-il ? Les mots sont justes, ils sont là, décrivent le décor, des objets, des moments en nous nous interrogeant du regard, mutuellement, chacun. Sommes-nous là ? Là avec nos vêtements, ponctuellement, dans un hangar, un point de localisation facilement identifiable par GPS mais… mais réellement, cet endroit… nous le découvrons. Un premier portrait arraché, puis un autre, celui d’un jeune homme souriant, lui… Le voilà qui se dépose sur le visage de Yann, son corps se mêle au portrait comme un géant émoji. Laissant tomber le portrait au sol, nous découvrons un autre visage, qui semble familier mais beaucoup plus jeune… une femme brune, aux cheveux bruns et ce même sourire. Nous inversons le temps, du moins, nous avançons dans le temps, seulement en sens inverse. Ce passé futur se déroule sous nos yeux, bercé par la voix douce de cette femme âgée, rencontrée auparavant. Elle chantonne. Elle resplendit. Des miettes, des miettes, un tas de miettes, se sont des éléments (fictivement) posés par cette dame dont le prénom nous reste inconnue. Sont-ils réellement fictifs ou sont-ils évoqués comme ces mêmes miettes qui nourrissent les fourmis. Nourrissant notre réflexion, nos pensées, nous continuons à regarder tour à tour Yann, puis l’audience, en regards amusés et curieux. Nous nous interrogeons… Quelles sortes de miettes ? Des avalanches de miettes ? De poussières ? De souvenirs ? Les portraits se déchirent en morceaux… Yann nous propose généreusement de prendre un morceau, un seul. A garder précieusement.

Plus de portraits mais un seul miroir brisé et un voile miroitant, tourbillonnant qui se pose sur une spectatrice comme une fine goutte se poserait sur une feuille. Le temps d’une valse. Une histoire écrite, vécue, partagée, bercée par une voix légère qui semble être heureuse, fredonnant, se demandant c’est quoi le bonheur… Le bonheur ! Le Bon-heur ?! La Bonne heure ? Le voile blanc disparaît au loin, comme une mariée se dirigeant vers l’autel. Qu’y-a-t-il au bout ? Personne ne le sait, puisque lui seul, accompagnée par la voix de cet être cher sortent du hangar, en un au revoir où même le miroir ne put réfléchir ce moment. Hors cadre, hors sol, hors de vue, ‘hors sujet’ comme Yann a pu l’évoquer durant la prestation. Interrogés ? Est-ce la fin ? Déjà ? Quelle heure est-il ? Sommes-nous devenus hors sujets, hors du temps ? Il est temps de partir mais nous repartons avec des morceaux de souvenirs, de prestations, d’interrogations et surtout d’émotions. Merci.

*A tous nos êtres chers et personnes rencontrées : vous nous avez peut-être oubliés, déjà, mais nous ne vous oublions pas. Nous vous portons avec nous où que nous allions.

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[English] –

I’ll go where the dust takes me

A rainy fall day. Do you like fall season? We get out of the car with our umbrellas, then see hangars, a parking lot and under a tent: a queue.
We find ourselves in the midst of wet leaves, hearing the sound of continuous drops and scrutinizing unknown faces, almost smiling despite the gray weather, we were wondering about the place.
Outside inside ? We do not know.
We enter the restaurant, time for verbena tea, a hot drink warming our hands. We smile at those faces which in the course of our conversations become more and more familiar.
Inside, the show will take place inside, and not outside as originally planned.
We walk along the parking lot and we go to one of the hangars, at F.
Pallets, wooden and metal structures decorated the place in a thin but sturdy frame. We stop in front of a line, in front of us, a portrait. The face of an elderly woman, glasses, brown hair and a smile that brightens her eyes. On the right, crouching, stands the dancer, Yann. By one reverence, the show begins.
We are carried in the dance like Yann carries this loved one. Once, twice… Coming and going… Like leaves blown by the wind, the portrait is ripped from the wall and rocked on both sides. Then landing in a place, on the right. Canada, Africa, travels, souvenirs, moments of life snatched up, rethought, repeated like fragile elements that we are afraid of breaking, of forgetting… Our eyes follow Yann, with the same fervor with which he swings on a cross bar then on balances of stability, as a way to stop time. Where were we ? We were talking about travels, birthdays, moments shared, lived and we ourselves try to hold them back, drawn, fearing they might escape, too quickly. Yann mingles with the crowd, questioning us on how, how and where we we put such and such object ?
But what is this object? How was it ? The words are right, they are there, describing the scenery, objects, moments and we were looking at each other, each. Are we there, there with our clothes, occasionally in a shed, a localized point easily identifiable by GPS but… but really, this place… we discover it. A first portrait torn off, then another, of a smiling young man… Here he is, settling on Yann’s face, his body mingling with the portrait like a giant emoji. Throwing the portrait to the ground, we discover another face, which looks familiar but much younger… a brunette woman, with brown hair and that same smile. We are reversing time, at least we are moving forward in time, only in the opposite direction. This future past unfolds before our eyes and rocked by the soft voice of this elderly woman, met before. She hums. She shines. Crumbs, crumbs, a heap of crumbs, are elements (fictitiously) posed by this lady whose first name remains unknown to us. Are they really fictitious or are they just conjured up as the same crumbs that feed the ants. Feeding our reflection, our thoughts, we continue to look alternately at Yann, then at the audience, with amused and curious looks. We wonder… What kinds of crumbs? Avalanches of crumbs? Dust? Memories? The portraits are torn into pieces… Yann generously offers us to take a piece, just one. To keep preciously.

No more portraits but a single broken mirror and a shimmering, swirling veil that lands on a spectator like a fine drop on a leaf. Time for a waltz. A story written, lived, shared, rocked by a light voice that seems to be happy, humming, wondering what happiness is… Happiness! Happiness ?! The good time ? The white veil vanishes over the horizon, like a bride heading for the altar. What is at the end? Nobody knows, since he, alone, accompanied by the voice of his loved one come out of the hangar, in a goodbye where even the mirror could not reflect this moment. Out of frame, off ground, out of sight, ‘off topic’ as Yann spoke of during the performance. Wondering ? Is this the end ? Already ? What time is it ?
Have we become irrelevant, timeless? It’s time to go but we leave with pieces of memories, performances, questions and above all emotions. Thank you.

* To all our dear ones and people we have met : you may have forgotten us already, but we are not forgetting you. We carry you with us wherever we go.